Selon nos informations, le parquet d’Aix a ouvert une instruction visant un ancien disciple d’OKC, une communauté présente en Europe depuis les années 70, soupçonné de viols sur au moins huit fillettes. Les victimes veulent aussi traduire en justice le gourou, Robert Spatz, déjà condamné à du sursis en Belgique pour des agressions sexuelles.
Après la Belgique, l’affaire OKC pourrait bien faire des vagues en France. Une instruction judiciaire suit son cours à Aix-en-Provence, a confirmé le parquet à Marianne, après que huit plaintes ont été déposées contre un ancien « éducateur » de Château-de-Soleils. Cette immense propriété retirée près des gorges du Verdon, non loin de Castellane (Alpes-de-Haute-Provence), a été investie dans les années 80 par le groupe d’inspiration bouddhiste Ogyen Kunzang Chöling (OKC).
Un groupe déjà au coeur d’un procès retentissant en Belgique. Son leader, Robert Spatz, surnommé « lama Kunzang Dorje », avait alors été condamné à cinq ans de prison avec sursis pour des faits d’abus sexuels sur mineurs, prise d’otages, abus physiques sur des enfants mineurs, emprise et fraude financière.
Bouddhisme dévoyé
Ces plaintes plus récentes visent le même dossier. Elles ont été déposées en 2018 par huit femmes mineures à l’époque des faits. L’« éducateur » mis en examen est soupçonné d’attouchements et de viols qui auraient duré pendant des années. L’OKC avait été signalée dès 1997 par la Commission d’enquête sur les sectes menée à l’époque par l’Assemblée nationale.
Les faits se sont produits à partir des années 1980 près de Castellane, dans un domaine surnommé Chateau-de-Soleils. Là, une centaine d’enfants d’adeptes de Robert Spatz sont retenus loin de leurs parents, dont la plupart travaillent bénévolement en Belgique pour le compte d’OKC. Les enfants doivent y recevoir une éducation conforme aux principes de Spatz, un bouddhisme dévoyé à sa seule gloire. Ils endureront des sévices physiques, psychologiques et sexuels : battus, exploités, séparés de leurs parents, privés d’une éducation digne de ce nom et contraints à des heures de prière quotidienne. « On est trois générations de gamins nés là-dedans, on n’a pas choisi ce qui nous est arrivé. Aujourd’hui nos vies ont été reconstruites, mais il reste des séquelles à vies malgré une résilience prodigieuse », témoigne Ricardo Mendes, qui a grandi dans cette communauté et porte aujourd’hui la parole des victimes avec qui il a grandi, à Marianne.
Dérives post-68
C’est dans ce contexte de violence que l’éducateur mis en examen aurait abusé d’au moins 8 petites filles. « À Château-de-Soleils, vous aviez deux formes de punition : des privations de nourriture et tout ce qui est maltraitance physique. Coups de bâton, prosternations dans le gel, dans la neige, sous la douche froide… Ce genre de choses. C’étaient les petits garçons qui étaient battus le plus souvent, les petites filles étaient abusées. Les abus psychologiques, c’était pour tout le monde », assure Ricardo Mendes. La doctrine de Spatz se résumait à un isolement des adeptes du monde extérieur et, de fait, une séparation entre parents et enfants. « Je me rappelle ne pas avoir vu mes parents pendant 3 ans. Qui est responsable ? Robert Spatz, qui a écrit et fait appliquer cette doctrine ? Les éducateurs, qui étaient eux-mêmes sous emprise ? »
Pour comprendre ces dérives, il faut se replacer dans le contexte de la fin des années 60. La société française traverse une période de libéralisation des mœurs, c’est l’arrivée en France du New Age, baigné d’orientalisme et notamment du bouddhisme. « Arrivent au même moment ces pratiques dangereuses, qui peuvent facilement être exploitées par des gens charismatiques et mal intentionnés », explique Ricardo. À l’époque, ce sont de nouvelles formes de spiritualité dont personne ne se méfie vraiment car la figure du dalaï-lama rassure. « Pourtant, il y a certaines pratiques dans le bouddhisme, notamment dans le Nyingmapa, qui théorisent une relation maître disciple particulièrement dangereuse. »
Le « fiasco » du procès belge
En Belgique, l’affaire a fait grand bruit. Il aura fallu 23 ans pour faire condamner Robert Spatz, après les premières perquisitions survenues en 1997 rue de Livourne à Ixelles, où l’OKC a son siège, et à Chateau-de-Soleils. En 2016, le tribunal correctionnel de Bruxelles le déclare une première fois coupable. Il écope alors de quatre ans de prison avec sursis et fait appel du jugement. Le dossier ira jusqu’à la cassation, puis vers la cour d’appel de Liège. Le « lama », qui n’a assisté à aucun de ses procès, est condamné à cinq ans de prison avec sursis. Il a, à nouveau, fait appel de cette décision.
« S’il n’a écopé que de cinq ans avec sursis, c’est qu’une énorme partie du dossier s’est effondrée, notamment les délits financiers, faute de preuves. Heureusement que nous nous sommes rajoutés à la procédure avec les affaires d’abus sexuels, sinon il n’y aurait vraiment rien eu », décrypte Ricardo, atterré par la décision belge. Il dénonce aujourd’hui la difficulté d’accès à la justice et le manque d’accompagnement des personnes ayant grandi dans un environnement sectaire : « Ça fait des années qu’on se bat pour essayer de faire condamner nos bourreaux : il n’y a pas d’accès à la justice pour les victimes de sectes. Si tu te retrouves en marge de la société, tu n’as plus les outils pour, c’est impossible d’obtenir réparation. Je n’ai reçu aucun soutien. Je pense qu’il y a encore des personnes à l’intérieur d’OKC qui aimeraient peut-être en sortir mais comme elles n’ont pas d’endroit d’accueil elles restent là. Elles demeurent sous influence. »
Spatz toujours en liberté
Depuis les ennuis judiciaires de Spatz, OKC, qui avait étendu son emprise de la Belgique au Portugal en passant par l’Espagne et la France, semble s’être écroulée. Aujourd’hui, Ricardo Mendes assure qu’il ne reste plus qu’une « vingtaine de personnes fanatisées à Chateau-de-Soleils, qui n’ont rien d’autre que cette vie-là. » Quant à Spatz, il se trouverait en Espagne, où il possède des propriétés à Marbella et Malaga. « Nous sommes toujours inquiets pour les adeptes. Nous craignons que les abus sexuels continuent. »
Les victimes espèrent désormais que la justice française saura mener une « instruction plus propre » que celle qui a accouché du fiasco belge. D’autres plaintes devraient bientôt être déposées, contre Robert Spatz directement et l’organisation OKC. « Une victime a déjà déposé plainte contre Spatz, d’autres devraient suivre. On espère surtout une condamnation plus sévère. Vont-ils vraiment être jugés, vont-ils être acquittés ? Je pense que la France sera plus juste et qu’ils seront condamnés plus durement. Après tout, ce serait le karma. »